La découverte de l'électricité
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Une pierre des
plus étranges
-600 avant JC : l'enquête débute
sur les bords de la mer Egée, il y a 2600 ans. Le philosophe mathématicien
Thalès de Millet (celui du fameux théorème) observe
que l'ambre, lorsqu'il est frotté avec un tissu, attire les poussières
en suspension dans l'air. Thalès pense qu'un souffle de vie anime
cet "étrange " caillou jaune. Pour les philosophes grecs, en effet,
le vent est non seulement le moteur de la vie, mais il explique aussi
tous les mouvements de l'Univers : la course du Soleil comme l'alternance
des saisons, le galop du cheval comme le vol de l'aigle. Les surprenantes
propriétés de l'ambre ne sont qu'un cas particulier de ce
principe général.
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Médecin
et physicien
1600
: pendant 2000 ans, l'étrange pouvoir d'attraction de l'ambre n'intéresse
plus grand monde. Les investigations reprennent à la fin du 16ème
siècle avec le médecin personnel de la reine Elisabeth 1er,
William Gilbert. Notre homme découvre que d'autres matériaux
tels que le verre, le diamant ou l'alun attirent eux aussi, lorsqu'ils
sont frottés, les plumes, la paille, la poussière, ... .
Gilbert nomme cette force d'attraction à distance "électricité",
d'après le mot grec êlektron, qui veut dire ambre jaune.
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Une machine à fabriquer
l'électricité
1706 : Dans la seconde moitié du
17ème siècle, des sociétés savantes se créent
un peu partout en Europe. A Londres, la Royal Society organise, pour un
public curieux, des séances de physique amusante. Un certain Francis
Hauksbee, fabricant d'instruments scientifiques, est nommé en 1703
au poste de
démonstrateur. Il découvre qu'une boule de verre émet
de la lumière et attire les objets légers lorsqu'elle est
mise en rotation et frottée. L'attraction est alors si forte que
les poils se dressent au voisinage du verre ! Voila une expérience
qui va plaire ! Pour la rendre plus spectaculaire encore, Hauksbee construit
une machine où la boule de verre est entraînée à
grande vitesse à l'aide d'une manivelle et d'un disque démultiplicateur
: c'est le premier générateur d'électricité. |
De bons et de mauvais conducteurs.
1729 : un spectateur attentif assiste aux
démonstrations de Hauksbee : Stephen Gray. Ce teinturier passe
des heures à tester les propriétés électriques
de différents matériaux. Avec les métaux , il essuie
échec sur échec. Il a beau les frotter avec la dernière
énergie, ils refusent obstinément d'attirer les objets.
En revanche, un morceau de fer appliqué sur la machine de Hauksbee
s'électrifie instantanément. Le "fluide électrique"
peut donc se transmettre. Et même assez loin : Gray parvient à
électriser une boule d'ivoire à 250 m de distance à
l'aide d'une corde de chanvre. Une seule condition pour réussir
: choisir les bons matériaux. Car si les métaux, l'eau et
le corps humain conduisent bien l'électricité, par exemple,
d'autres (le verre, l'huile ou la résine), au contraire, ne la
laissent pas passer. Seuls ces derniers, remarque Gray, peuvent être
électrisés par frottement. |
Deux électricités
1733 : en tant que chimiste adjoint à
l'Académie des sciences de Paris, Charles Du Fay a vent des travaux
de Gray. Pressentant que les phénomènes électriques
sont un domaine de recherche prometteur, Du Fay se lance, à partir
de 1733, dans une série d'expériences. Il montre d'abord
que les métaux peuvent être aussi électrisés
par frottement, à condition de les placer sur un support qui les
isole de la terre. Mais, surtout, Du Fay découvre deux sortes d'électricité.
Lorsqu'il laisse tomber une feuille d'or très légère
sur un tube de verre qu'il a préalablement frotté, celle-ci
rebondit sur le tube pour se stabiliser en l'air à 15 cm de distance.
S'il approche un bâton de résine, la feuille est attirée
et se colle aussitôt à son extrémité. Ces deux
électricités, qu'il qualifie de "vitrée" et "résineuse"
s'attirent l'une l'autre, mais se repoussent lorsqu'elles sont identiques.
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La bouteille
qui secoue
1745
:dans la bonne société de l'époque, les expériences
scientifiques sont une source inépuisable de divertissement : en
se faisant électriser, un marquis peut mettre le feu à une
cuillère d'alcool avec son doigt ou, plus rigolo encore, tuer une
mouche en un éclair ! Chacun veut tâter de l'électricité.
Dans la ville hollandaise de Leyde, un respectable magistrat, Andreas
Cuneus, s'amuse à charger une bouteille remplie d'eau avec une
machine de Hauksbee. Il a l'imprudence de poser les doigts sur la tige
métallique qui a servi à électriser le récipient.
Horreur ! Il est soudain cloué au sol par une violente douleur
qui lui secoue affreusement le corps. |
Mystérieux
effluves
1747 : un ami de Cuneus, le professeur Petrus
Van Musschenbroek, a l'audace de refaire l'expérience. Il en ressort
traumatisé : même pour le trône de France, affirme-t-il,
il ne s'exposerait à cette terrible souffrance ! A Paris, la bouteille
de Leyde suscite immédiatement la curiosité de l'Abbé
Nollet, une des sommités scientifiques de l'époque. Et pour
cause : la bouteille semble accumuler et conserver le fluide électrique
plusieurs jours durant ! Pour quelle raison ? Mystère. La nature
même du "fluide"est énigmatique. Nollet, comme Gilbert et
Gray avant lui, pense que des effluves invisibles se déversent
des objets électrisés. Ils seraient responsables des phénomènes
de répulsion entre les corps. La force d'attraction, quant à
elle, serait due à de l'air qui pénètre dans les
objets électrisés et les recharge ainsi en effluves répulsifs. |
Un américain
astucieux
1749 : l'interprétation exacte de
l'expérience de Cuneus et Musschenbroek sera donnée par
un imprimeur américain, Benjamin Franklin. Entre
temps, en effet, la bouteille de Leyde a franchi l'Atlantique et remporte
là bas le même succès qu'en Europe. Franklin pense
qu'il y a, à l'intérieur de la bouteille, un trop plein
d'électricité qui, à travers le verre, repousse le
fluide électrique à l'extérieur du récipient.
Arbitrairement, il symbolise ce déséquilibre, avec un signe
+ pour l'extérieur de la bouteille et un signe - pour l'intérieur.
Lorsqu'on pose la main sur la tige métallique, on crée une
passerelle. Le trop plein de fluide électrique se propage dans
le corps humain pour aller compenser le déficit à l'extérieur
de la bouteille. Ce transfert de fluide s'accompagne d'une secousse très
douloureuse. Les explications de Franklin ne lui vaudront que quolibets.
Cette même année, le savant américain adresse une
lettre à la Royal Society de Londres dans laquelle il assimile
la foudre à une décharge électrique. Cette lettre
ne suscite que les rires des physiciens britanniques mais Franklin ne
va pas tarder à prendre sa revanche. |
Intuition exacte
1752 : pour prouver que la foudre est bien
une décharge électrique entre le ciel et la terre, il propose
de capter, avec une longue pointe métallique, l'électricité
qu'il
suppose emplir l'atmosphère les jours d'orage. Son idée
ne rencontre que scepticisme en Angleterre, mais en France, elle est mise
à exécution par un physicien amateur, Thomas Dalibard. L'homme
plante dans sa propriété de Marly une tige de fer de 13
m de haut. Elle est isolée du sol par une planche de bois, qui
repose elle-même sur quatre bouteilles de verre. Le 10 Mai 1752,
l'orage gronde sur Marly. Courageux mais pas téméraire,
Dalibard demande à un de ses gardes d'approcher une bouteille de
Leyde de la tige métallique. Ssschraak ! Un éclair jaillit
: Benjamin Franklin avait vu juste ! |
La foudre domptée
1780 : dès lors, il devient possible,
comme le suggère Franklin, de protéger les habitations de
la foudre avec une pointe métallique reliée à la
terre. Bientôt, les châteaux et les bâtiments publics
se hérissent de paratonnerre. Ce succès conduit les physiciens
européens à prendre les idées du savant américain
un peu plus au sérieux.
A la fin du 18ème siècle, il est clair qu'il existe deux
types d'électricité, une positive et une négative,
selon la classification du savant américain. Les corps de même
charge ont la propriété de se repousser, alors que ceux
de charge opposée s'attirent. Il est manifeste, par ailleurs, que
ces forces d'attraction et de répulsion sont d'autant plus grandes
que la distance qui sépare les objets électrisés
est faible. Tout cela, cependant, reste bien vague. Et les physiciens
commencent à réfléchir à un appareil qui permettrait
de mesurer avec précision la force électrique avec l'espoir,
peut-être, de dégager une loi mathématique comme l'a
fait Newton un siècle auparavant avec la loi de la gravitation
universelle.. |
Une
force mesurée
1785 : Entre 1780 et 1785, plusieurs électromètres
seront mis au point. Certains évaluent la chaleur émise
par une décharge électrique, d'autres estiment la longueur
de l'étincelle. Mais ces mesures ne donnent qu'une valeur grossière
des forces mises en jeu. Un académicien français,Charles
Augustin de Coulomb conçoit, en 1785, une balance où la
force de répulsion entre 2 billes porteuses de la même charge
est mesurée par la torsion, plus ou moins grande d'un fil métallique.
Grâce à ce dispositif, Coulomb démontre que la force
entre 2 objets électrisés diminue comme le carré
de la distance qui les sépare. Autrement dit, si cette distance
est multipliée par deux, la force électrique devient quatre
fois plus faible. Et ainsi de suite. |
Galvani et les
grenouilles
1786 : pendant que Coulomb cherche à
mesurer la force électrique, un certain Luigi
Galvani, en Italie, étudie le système nerveux des grenouilles.
Le balcon de son laboratoire témoigne de sa passion : le médecin
y suspend, à l'extrémité de fils de cuivre, des cuisses
de batracien disséquées ! Un jour venteux de 1786, Galvani,
stupéfait, observe une jambe de grenouille bouger toute seule !
Les mouvements se produisent à chaque fois que la cuisse vient
heurter les barreaux de fer du balcon.. Lorsque la cuisse de la grenouille
touche le barreau de fer, il se crée, pense-t-il, un circuit semblable
à celui de la bouteille de Leyde. L'électricité se
décharge dans le barreau de fer et provoque en même temps
la contraction de la patte du batracien. |
Volta tombe pile !
1799 : un autre savant italien, Alessandro
Volta, ne partage pas du tout les convictions de Galvani. Pour lui, il
n'y a pas la moindre électricité dans une grenouille. Volta
considère que c'est le contact entre les deux métaux (le
crochet en cuivre et le barreau en fer) qui génère le fluide
électrique. Le corps du batracien ne sert qu'à transmettre
l'électricité et à la mettre en évidence lorsque
la patte se contracte. Pour prouver ce qu'il avance, le physicien empile,
en 1799, des disques de cuivre et de zinc. Les deux métaux sont
séparés par des rondelles de carton humide qui sont censées
jouer le rôle conducteur de la grenouille. Bingo ! En plaçant
ses mains aux deux extrémités de la pile de disques, Volta
ressent une secousse électrique caractéristique. Mais il
y a mieux : tant qu'il garde les mains sur l'empilement de disques, la
secousse persiste.
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Au fil du courant
1827 : avec la pile de Volta, les physiciens
disposent maintenant d'un appareil qui génère en continu
du fluide électrique ! Dès lors, les recherches s'intensifient
pour produire un courant électrique à la fois plus intense
et plus régulier. En
1822, Thomas Seebeck invente la pile thermoélectrique : un simple
anneau composé pour moitié de bismuth et pour moitié
de cuivre. Lorsque le savant chauffe le point de contact entre les deux
métaux, un courant électrique apparaît dans l'anneau.
Un autre physicien allemand, Georg Simon Ohm, se servira de cette nouvelle
pile pour démontrer que l'intensité d'un courant dans un
fil métallique dépend de la tension (créée
par la différence de charge électrique accumulée
aux deux extrémités), de la nature du métal qui constitue
le fil et de son diamètre. |
Grains de matière
1897 : l'étrange
"fluide" qui circule dans les fils électriques va garder son mystère
pendant près d'un siècle encore. En 1850, personne n'est
sûr, d'ailleurs, qu'il s'agisse d'un fluide. L'électricité
ne serait-elle pas plutôt un flux de particules chargées,
comme supposait déjà Benjamin Franklin ? Une avancée
décisive se produit en 1897 : en étudiant les décharges
électriques entre les deux électrodes placées dans
un tube sous vide, le Britannique Joseph Thomson détecte de minuscules
grains de matière, de charge négative, qui seront nommés
"électrons". Quinze ans plus tard, il est devenu clair que les
électrons, négatifs, de Thomson et le noyau, positif, sont
les deux constituants essentiels des atomes. |
Les électrons ont le tournis
1916 : reste à prouver que ce sont
aussi des électrons qui se déplacent dans les fils électriques.
Ce sera fait en 1916 avec la belle expérience de Richard Tolman
: le physicien américain fait tourner à grande vitesse
un tube métallique puis le stoppe brutalement. Il enregistre
alors pendant un bref instant un courant électrique. Tolman démontre,
par le calcul, que les charges qui circulent dans le tube ont exactement
la masse des électrons. La rotation rapide les a littéralement
arrachés des atomes de métal autour desquels ils gravitaient.
Lorsque la rotation cesse, les électrons continuent sur leur
lancée de tournoyer un court moment dans le tube. L'électricité
était enfin comprise !
Tiré de Sciences et vie junior 75 et 77 (texte de Serge Lathière
et illustrations de Dominique Galland)
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